Henri Sérandour Président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF)
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/04/11/j-o-les-athletes-pris-en-otage-par-henri-serandour_1033532_3232.html
Paris vient d'accueillir la flamme olympique, symbole de paix et de tolérance. J'aurais aimé que la France, à travers sa capitale, montre à nouveau avec éclat son attachement aux valeurs universelles de l'olympisme et son amour des Jeux. Aujourd'hui, je suis triste et indigné, surtout pour les athlètes et tous les relayeurs qui se faisaient une joie de porter la flamme olympique et dont certains se sont fait insulter comme des vauriens.
Rien, aucune cause ne justifie une telle attitude. Il fut un temps où le relais se limitait à célébrer la perspective des Jeux sur le territoire du pays organisateur. En 2004, les Grecs souhaitèrent fêter le retour des Jeux à ses origines en organisant un relais planétaire passant par les différentes villes organisatrices. C'était louable et légitime. Les événements de Londres et de Paris montrent malheureusement que ce type de relais aurait dû rester l'exception. Quand le relais de la flamme ne permet pas de transmettre le message d'un monde plus juste, plus pacifique, plus fraternel, il vaut mieux qu'il n'ait pas lieu.
Suivant la voie indiquée par les athlètes français, les différents relayeurs ont arboré le badge constitué du logo de l'équipe de France et du message "Pour un monde meilleur". Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) s'est associé à cette initiative car elle est synonyme d'espérance et de croyance au progrès de l'humanité. Malgré ma colère, je veux rester optimiste et croire au message porté par les athlètes et à la valeur de leur démarche.
Pour bien comprendre la portée de celle-ci il faut rappeler un certain nombre de points. Le mouvement olympique moderne initié par Pierre de Coubertin en 1884 a su se développer et rassembler autour de lui celles et ceux qui se reconnaissaient dans ses valeurs. Comme tous les visionnaires, le baron de Coubertin dut faire face à un immense scepticisme. Pourtant, les Jeux rénovés en 1896 ont survécu aux deux guerres mondiales et résisté à quatre boycottages. L'histoire montre que le cheminement de leur histoire est lié à celle de la politique jusqu'en 1984 où, pour la première fois, leur organisation n'est pas accompagnée d'un déficit financier. Il était temps car Los Angeles était alors la seule ville candidate et les Jeux auraient pu mourir par manque de candidatures.
C'est là que se situe l'un des grands mérites du président Juan Antonio Samaranch, qui a fait des Jeux olympiques une organisation tellement prisée désormais qu'elle nécessite pour le CIO de sélectionner les villes requérantes pour qu'elles deviennent effectivement candidates. On reproche souvent au Comité olympique international (CIO) d'être devenu mercantile mais sait-on qu'il redistribue 93 % des recettes vers les fédérations internationales, les comités nationaux olympiques, dont le CNOSF bien sûr, la solidarité olympique et les villes organisatrices évidemment ?
C'est dans ce contexte financier favorable qu'il faut chercher l'explication principale de l'indépendance du mouvement olympique vis-à-vis du pouvoir politique. D'aucuns pourront trouver cette affirmation osée dans le contexte actuel éminemment sensible. C'est pourtant la réalité des faits et l'explication des choix. En faisant celui de Pékin en juillet 2001, les membres du CIO ont fait celui de l'ouverture par rapport à l'exclusion. Ils ont voulu montrer que le cinquième de l'humanité ne saurait être mis à l'écart de l'organisation des Jeux. Ce n'est pas pour autant qu'il faut oublier les problèmes et les drames liés au non-respect des droits de l'homme et à la privation des droits et des libertés fondamentales.
Mais s'il vous plaît mesdames et messieurs les censeurs, soyez cohérents : ne demandez pas aux sportifs de faire ce que les politiques n'ont pas réussi à faire, ne leur demandez pas non plus de sacrifier leurs rêves ni leur rôle quand dans le même temps vous n'exigez rien de ceux qui commercent avec l'immense marché que constitue la Chine ou qui préparent l'Exposition universelle de Shanghaï en 2010. Demandez plutôt le respect de la trêve olympique, ce serait déjà formidable que les combats cessent partout dans le monde durant cette année 2008. C'est d'ailleurs le message qu'a voulu faire passer le président Jacques Rogge en souhaitant un traitement pacifique de la situation au Tibet.
Les Jeux olympiques sont faits pour les athlètes et pour célébrer à travers eux les valeurs et le message de l'olympisme. Par leur participation les athlètes du monde entier mettent en exergue l'esprit de fraternité, de paix et de tolérance qui les rassemble. Réunis le 4 avril à la Maison du sport français, une trentaine de nos plus grands sportifs ont dit avec force leur attachement aux Jeux et à l'olympisme : c'était spontané, sincère et émouvant et certains n'ont pas hésité à exprimer leur sentiment de rejet de voir les anneaux olympiques, symbole de fraternité entre les peuples, bafoués et dégradés dans leur représentation menottée. C'est là que se situe la force des grandes causes, c'est pour cela qu'il est regrettable de les opposer, ce n'est ni adroit, ni correct, ni surtout respectueux des autres, de l'histoire et des symboles.
Je me battrai pour que soit comprise la portée internationale du message des athlètes français, adressé à ceux qui sur la planète ne peuvent pas goûter aux joies élémentaires de la liberté et de la tolérance. Je me battrai pour que ce message d'un monde meilleur auquel ils aspirent ne soit pas que le message des Jeux de 2008 mais celui d'une nouvelle ère.